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Le 28 avril 2013 à 09:18 | mise à jour le 15 février 2019 à 17:30

Sam Nieswizski : historien du roller

Sam Nieswizski : historien du roller

Sam est un passionné de roller. A 86 ans, son énergie est toujours présente. Quand il parle de patin à roulettes, ses yeux se mettent à briller. C'est un homme passionné et passionnant, intarissable, une encyclopédie vivante de l'histoire du patin à roulettes. Portrait...

Mis en ligne par  Alexandre CHARTIER

Article de 2005 réédité en 2013

"Fiche technique"

Prénom : Sam
Nom : Nieswizski
Surnom : « Fend la bise »
Profession : retraité, ancien technicien à Radio France
Date de naissance :
 15 mai 1927
Age :
92 ans (en 2019)
Pointure : 42 EU
Poids : 73 kg
Taille : 1,74 m
Situation matrimoniale : Veuf
Pratique : sur glace et en roller depuis son adolescence
Débuts en roller : Quand il était enfant
Plat préféré :
Hareng (grand parents russes)
Musique préférée : Classique (Bach) et Jazz
Hobbies : Le petit bricolage (électricité)
Ce qu’il aime : Le patin en général
Ce qu’il n'aime pas : Les gens qui se prennent au sérieux et les idées étroites.
Signe particulier : historien du roller. Possédait déjà plus de 4000 pièces relative à l'histoire du roller en 1991. Et il continue d'en réunir chaque jour et en aurait près de 6000 !
Ouvrage de référence : Rollermania, 1991

Il était une fois...

Au coeur de Paris, non loin de la place d'Italie, vit un homme dont la cave et l'appartement regorgent de milles et une merveilles (un peu plus au sens littéral). Chaque recoin, chaque placard, recèle des objets aux formes étranges et surannées, de vieux patins en bois à deux, trois ou quatre roues, des patins à roues pneumatiques, en métal, en bois, en ivoire. Au travers de ces pièces rares, deux siècles de l'histoire du patin qui nous contemplent. Depuis 25 ans, Sam a recueilli plus de 4000 pièces en rapport avec le patin à roulettes : brevets, affiches, cartes postales, ouvrages, etc. Interview...

Bonjour Sam, Comment t'est venue cette passion pour le roller ?

Au début, j'ai patiné à roulettes comme tous les gosses, c'était avant la seconde guerre mondiale. Durant l'occupation, j'étais adolescent, dans le midi, il n'y avait plus de patin. Après je suis revenu sur Paris, j'ai découvert le patin à glace, ce fut ma grande passion. J'y passais tous mes loisirs. J'y allais 3 fois par semaine. Le problème, c'était l'été, il n'y avait pas de glace.

Un jour, je vis un couple de jeune un jour dans la rue avec une paire de patins très perfectionnés sur les épaules et j'ai eu envie d'essayer. Il allaient à la patinoire à roulettes. Ce n'était pas le même public qu'en glace. L'ambiance était plus populaire, l'esprit plus voyou. J'étais mal accueilli parce que je patinais avec une tenue de patinage à glace, un peu snob, avec une cravate, et souvent de gros durs disaient "bein dis donc, t'en as une gueule pour un patineur ! (rires)".
Il y avait les sportifs qui venaient s'entraîner, les gros durs qui voulaient se bagarrer, et des soldats américains qui se sentaient un peu comme chez eux. A cette époque, on pratiquait le "Roller-Catch". Toutes les heures, pendant 5 minutes, se déroulaient une sorte de course où tout était permis : coups d'épaules, bousculades, c'était assez brutal...

Pour moi, le roller n'était alors qu'un sport de remplacement. En 1957, il me semble, la patinoire à roulettes à fermé. Cela restait vraiment un sport d'enfants. Les adultes qui pratiquaient étaient considéré comme des demeurés ou des marginaux. Quelques sportifs pratiquaient en vase clos. Les rares adultes qui roulaient en loisir, demandèrent un lieu pour évoluer, ce fut l'actuel Palais de Tokyo, aujourd'hui prisé par les skateboarders.
Un monsieur âgé venait avec un gramophone et se mettait à danser avec une compagne imaginaire sur des valses ou des marches militaires. Les gens regardaient la bouche bée et admiratifs. Je suis allé longtemps patiner là-bas.
Fin, 1979, il y eut le boom des roues en polyuréthane, les gens venaient avec des patins fixés sur des baskets. Les gens allaient au Trocadéro, au musée de l'Art Moderne. Chaque année, il y avait une randonnée : "Paris sur roulettes". Avant cette période là, on ne trouvait pas de bons patins dans le commerce. Avant, tu achetais les meilleurs patins enfants, tu sciais les attaches de courroies, tu perçais les platines et les chaussures et tu mettais des roues en bois pour remplacer les roues en fer. Il y avait plus d'heures de maintenance que d'utilisation. A partir de ce boom, on a commencé à trouver de bons patins italiens et français, j'ai donc patiné plus souvent, c'était devenu moins marginal.

Qu'est ce qui t'a fait débuter tes recherches sur le patin ?

Un jour au début des années 80, je suis tombé sur un livre Suisse écrit en français qui traitait en partie de l'histoire du patinage. Il a éveillé ma curiosité mais il était insuffisant pour me satisfaire. Je voulais savoir à quoi ressemblaient les patins anciens, comment les gens patinaient. Je me suis mis à faire des recherches, notamment au musée des Arts et Métiers. Il n'y avait absolument rien sur le patin. Puis un jour, je suis allé à l'INPI (Institut National de la Propriété Industrielle). J'y ai trouvé des brevets, ça m'a mis sur des pistes, j'ai vraiment pu faire des recherches exhaustives sur des brevets français, anglais, allemands, américains. J'ai passé des semaines dans des sous-sols poussiéreux et mal éclairés. Au fur et à mesure, j'ai élargi mes recherches aux lieux de pratiques, aux pratiquants, à la presse. Je suis allé en Suisse, aux États-Unis.

C'est pour cela que tu as écrit "Rollermania" ?

RollermaniaJ'ai eu de plus en plus de notes de recherches, je me suis dit qu'il y avait de quoi faire un livre. Je ne me suis pas demandé s'il était éditable ou rentable. Je ne suis pas intéressé au côté commercial. Quand il fut presque terminé, j'ai commencé à tirer les sonnettes des éditeurs mais personne ne voulait de ce livre. L'ouvrage n'était pas dans les logiques des éditeurs.

Pendant tout ce temps, le livre a continué à grossir. Un jour, je suis tombé par hasard sur une annonce passée par Gallimard qui recherchait de jeunes auteurs (limite d'âge 25 ans) racontant une expérience, une aventure ou une recherche. J'ai envoyé une lettre, mon manuscrit a été transmis à une directrice de la collection "Découvertes" qui a accepté de l'éditer. Ils ont accroché tout de suite. Ce bouquin a plu parce qu'il était livré "clé en main", avec toute l'iconographie, les illustrations. Il a fallu un travail d'un an d'ajustement à la collection. Les deux tiers du livre ont été coupés. "Rollermania" a été édité à 15.000 exemplaires, et en 2005, les deux tiers avaient été vendus, soit environ 10.000. Il part régulièrement.

Tu continues toujours tes recherches ?

De temps en temps, je trouve de nouveaux documents, mais l'essentiel de mon travail consiste maintenant à transformer mes fiches en bases de données. Par exemple, j'en ai fait sur le roller au cinéma, sur les brevets, etc.

Connais-tu d'autres historiens du roller ?

Oui et non. J'ai communiqué par téléphone avec un collectionneur qui a donné ses trésors au Musée du Roller de Lincoln (Nebraska, E.U.). Je ne l'ai jamais rencontré. En France, un autre collectionneur a autant de patins que moi, il collectionne des paires de roller qu'il restaure. Il est non loin de Paris. Il s'est découvert cette vocation en lisant mon bouquin. Aujourd'hui, je suis limité par la place, je ne cherche plus trop à acquérir de nouvelles pièces.

Tu patines toujours ?

J'ai eu un petit accident de roller, il y a peu de temps. En faisant une figure simple, je suis tombé en grand écart et un muscle a lâché. Je marche à nouveau normalement. Pour le moment, le roller est un peu en panne, mais j'ai repris le patin à glace la semaine dernière.

Quelles sont tes pratiques préférées ?

Je fais de la randonnée de temps en temps, mais ce que je préfère c'est pratiquer l'artistique à mon échelle, dans un lieu délimité. J'aime les courbes, les pas de valse, des choses relativement simples. Dès que j'apprend quelque chose en glace, je tente de transférer en roller. Par exemple, j'ai essayé le "short-track", sans avoir fait de course, juste pour avoir le style qui me plaisait beaucoup.

Comment se passe une de tes journées ?

Je n'ai pas de règles. Je ne sais jamais ce que je vais faire en me réveillant. J'aime bien faire le marché, la cuisine. Une personne s'occupe du ménage. J'aime lire, aller dans les foires, aller au théâtre, dans certains concerts. J'écoute des enregistrements de musique. Je passe mon temps comme quelqu'un qui est en vacances. Quelques fois, je rencontre des journalistes, mais c'est par vagues. Il y a un effet boule de neige lorsque l'un d'eux écrit un article, d'autres viennent. Souvent ils posent les mêmes questions et je fais les mêmes réponses, ça agace un peu, j'ai l'impression de devenir un perroquet.

La mode étant un peu passée, comment vois-tu le futur du roller ?

Je suis incapable de dire. On a toujours l'impression que tout a été dit et il y a toujours des nouveautés qui émergent. Je trouve par exemple que des sports comme l'acrobatique (freestyle) sont de plus en plus proches d'autres sport comme le trampoline, le plongeon. Je n'ai rien contre, j'admire beaucoup, mais c'est un autre sport. Le slalom me fascine parce que ce n'est pas du patinage artistique, mais cela demande autant de virtuosité. j'en bave quand je vois des cracks.

Au plan technologique, qu'y aura t'il selon toi comme évolution ?

C'est dur de prévoir. On a l'impression que les roller haut de gamme ont atteint un sommet technique, mais il y a encore des progrès. On constate en fait que les innovations actuelles sont souvent des améliorations de concepts du passé, d'idées anciennes rendues efficaces.

Par exemple, le roller en ligne est devenu performant par l'arrivée des roues en polyuréthane. Les rollers actuels sont fantastiques. A mon avis, les voies de progrès sont dans les patins d'artistique en ligne avec des roues en "banane" et une butée à l'avant. Ils sont bons mais peu commercialisés et demandent à être encore améliorés.

Les innovations n'ont pas toujours été bien perçues. Je me souviens en course d'avoir vu les spectateurs faire des remarques lorsque Arnaud Gicquel gagnait les championnats de France en utilisant des patins en ligne. Gicquel a répondu que nous serions d'éternels vaincus si l'on ne suivait pas les autres pays.

La place du roller dans le paysage urbain a t'elle évolué depuis ces dernières années ?

L'image du patin ne s'est pas beaucoup améliorée ces dernières années. Les automobilistes continuent à râler quand ils sont coincés par la rando du vendredi soir. S'ils voient un patineur sur la route, ça les met en pétard et ils klaxonnent, même si le patineur ne les gêne pas. Les piétons ont tendance à croire que le trottoir n'est que pour eux et que les rollers n'ont rien à faire.

Avec le vélo, c'est plus complexe, les relations sont sympathiques et antipathiques à la fois. Le côté sympathique : il y a eu des randonnées communes, sur le gratton, les vélos riaient des rollers et les rollers leur rendaient bien en cas de crevaison. Pour le côté antipathique, sur une piste cyclable, avec deux vélos de front, c'est rare qu'ils se poussent si tu arrives en face. Ils ont un peu raison, il n'y a pas marqué que le roller est permis.

Que penses-tu du coup de frein donné au statut du roller ?

Je suis très pessimiste là-dessus. Sur un trottoir, certains rollers ne sont pas toujours maîtres de leurs mouvements. D'autres sont à l'aise et se mettent à frimer et peuvent faire peur aux piétons qui nous acceptent mal.

Il faut réformer l'esprit des patineurs.

Aux États-unis par exemple, les patineurs ne friment pas et les piétons n'ont pas peur. On sent que les rollers sont sûrs d'eux, mais qu'ils prennent leur distances pour ne pas effrayer les piétons. Les voitures tolèrent les rollers. C'est d'abord une histoire de mentalité et d'éducation.
Faire une législation est difficile dans la mesure où un vélo gêne une voiture, et un roller encore plus.

Sur un trottoir, le roller va trop vite par rapport au piéton. On ne peut pas lui imposer de rouler à 6 km/h. Les seules mesures pratiques que l'on puisse prendre, c'est élargir les pistes cyclables. Le mouvement pendulaire du patineur demande plus d'espace que celui d'un vélo.

Il y a une illusion chez les gens qui font des réformes lorsqu'ils imaginent que des endroits de pratique délimités suffiront pour le roller. Les pratiquants de piste et de rue ne sont pas les mêmes. Ce n'est pas pour cela qu'il ne faut pas faire d'endroits pour les rollers, mais ça ne résout pas le problème.

Y a t'il d'autres points que tu souhaiterais aborder ?

J'aimerais que la Fédération soit plus ouverte, notamment par rapport aux innovations techniques et technologiques comme le patinage artistique en ligne. D'autre part, il est dommage que la dimension sportive du roller ne soit pas assez médiatisée. C'est mieux qu'il y a dix ans mais on est encore à la traîne. L'image de jeu de gosse est sûrement encore forte. Aujourd'hui, c'est une pratique plus courante. Dans "l'Equipe", si on trouve quelques lignes sur le roller, c'est vraiment exceptionnel.

Merci Sam !

Liens utiles

Bibliographie francophone du roller

Le roller : histoire de 1760 à nos jours

Livre: The evolution of the Roller-Skate: 1820 - Present

Béton Hurlant : une exposition roller au Musée National du Sport

Oldies : dans les entrailles de Hawaii Surf

 

Article datant de mai 2005
Texte et photos : Alexandre Chartier
Merci à Sam pour son accueil et son enthousiasme
Mis en ligne  le 28 avril 2013 - Lu 20512 fois

Mis en ligne par :
Fondateur et webmaster de rollerenligne.com. Alexandre est un passionné de roller en général et sous tous ses aspects : histoire, économie, sociologie, évolution technologique... Ne le branchez pas sur ces sujets sans avoir une aspirine à portée de main !

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