-
Le 05 octobre 2007 à 00:00 | mise à jour le 07 décembre 2011 à 21:51

Interview : Jean-Stéphane Sierra

Interview : Jean-Stéphane Sierra

Nous sommes allés faire un tour à Toulouse afin de rencontrer Jean-Stéphane Sierra, patineur élite et fabricant de chaussures de vitesse sur mesure. A 33 ans, le rochelais vit sa passion au quotidien entre pratique de haut niveau et conception de chaussures moulées. Rencontre...

Mis en ligne par 

Le roller omniprésent

Quand as-tu démarré le roller ?

J'ai commencé en 1989, à la Rochelle dans un petit club. On s'entraînait 2 fois par semaine en groupe avec des gars comme Benoît Perthuis (Levallois maintenant) et son frère, entre autres. J'ai ensuite fait quelques clubs de la région, nombreux sont ceux qui ont fermé. Ils n'ont jamais duré très longtemps.

Tu as commencé directement en compétition ?

Oui, à la même date, à l'âge de 15 ans, quasiment d'entrée. Au bout de 6 mois j'ai fait mon premier championnat de France. J'avais raté la finale de 5 places. C'était plutôt bien pour un premier championnat en minime 2ème année. Il a fallu que j'attende d'être cadet, l'année suivante, pour me qualifier en finale. En quad, c'était déjà énorme pour moi.
En 1992, j'ai gagné mes premières médailles en quad. C'est alors que le patin en ligne est arrivé. Il a fallu tout recommencer à zéro.

Tu as démarré directement par la vitesse ?

Je faisais du patin à roulettes comme tous les gamins du quartier à l'époque, devant chez moi. On en faisait comme des fous pendant plusieurs jours et après on n'y touchait plus pendant 6 mois, comme tous les enfants. J'avais donc fait un peu de roller avant de commencer. En fait, j'avais 6 ans quand j'ai vraiment débuté. Je suis allé dans un club parce que je voulais faire de la compétition. Je faisais des arts martiaux à l'époque et on ne voulait pas me faire faire de compétitions. J'ai donc cherché un autre sport.

Qu'est-ce qui t'a fait aller vers le roller. Finalement, ce n'est pas le sport vers lequel on se tourne le plus naturellement ?

Dans le quartier, je me débrouillais mieux que les autres aux dires de mon animateur de centre de loisirs.
Un gars qui venait de Rouen s'était installé aux abords de la Rochelle et avait créé un club. L'animateur m'a conseillé d'y aller. Je suis arrivé là-bas sans savoir qu'il existait des compétitions de roller de vitesse, juste pour faire du roller et voir.

Pour quelles raisons as-tu accroché ?

J'arrivais à suivre le groupe de l'entraînement et j'ai rapidement progressé. Au bout de 3 mois, je faisais ma première compétition. J'ai fait toute la course devant comme un abruti et tous les concurrents m'ont passé dans la dernier tour. La course d'après, je ne me suis pas fait avoir, je suis resté dans la roue et j'ai terminé deuxième au sprint.

A quelle époque sont arrivés tes premiers résultats ?

Je n'ai jamais vraiment eu de résultats. J'ai surtout fait des places d'honneur. En 1992, j'ai fait 2ème ou 3ème au championnat de France Junior.
L'année suivante, en 1993, j'ai fini champion de France du Marathon pour ma première année avec des rollers en ligne.

Tu n'as jamais eu envie d'arrêter ?

Non, mais je n'ai jamais été vraiment à fond dedans non plus. Il y a des périodes où je ne patinais plus pendant 6 mois, je revenais. J'ai la chance de pouvoir m'arrêter et de retrouver un niveau physique en une quinzaine de jours. J'imagine que je dois quand même avec quelques prédispositions.

Combien de fois patines-tu par semaine ?

Cela dépend des périodes. Je fais tout au plaisir. Si je n'ai pas envie d'aller rouler, je n'y vais pas pendant 3 mois, si je suis motivé, je peux y aller tous les jours. Ce ne sont pas des grosses phases d'arrêt non plus.

Quelque chose te pousse donc quand même à rechausser tes rollers ?

Oui, quand on a fait du sport toute sa vie, depuis que l'on est tout petit, on sent qu'il manque quelquechose. A un âge où je devrais commencer à penser à arrêter, j'ai envie de pousser plus loin, d'en profiter.

Tu ne fais pas que du roller à l'entraînement, tu fais aussi du vélo ?

Comme je te disais, c'est au plaisir. Je me suis racheté un vélo pour faire quelques courses. J'essaie de lier les deux. D'ordinaire je n'en fais pas.

Tu structures tes entraînements de quelle façon ?

Je roule au plaisir. Si on approche d'une échéance majeure comme la World Inline Cup de Rennes ou celle de Dijon, ou le championnat de France de Grand Fond, je vais intégrer un peu plus de fractionné dans mon entraînement. Pour les courses locales, je ne vais rien faire de particulier, je vais juste profiter et passer une journée hors de Toulouse.

Quel est ton parcours scolaire ?

Je n'ai pas fait d'études, je n'aime pas cela. J'ai essayé de rentrer au lycée, cela ne me plaisait pas. J'avais des opportunités. Je savais que je pouvais apprendre le métier de garagiste avec mon père. Mais je savais que je ferai quelque chose pour mon compte. Ma voie était là, je ne m'inquiétais pas.

Qu'as-tu fais finalement pour en arriver à fabriquer des chaussures ?

J'ai pas mal travaillé dans les centres de loisirs avec des enfants. En tant que bénévoles, j'ai contribué à la création de clubs de roller sur la Rochelle, j'ai entraîné en Poitou-Charente.
Je suis ensuite arrivé à Valence d'Agen en Emploi Jeune. J'y ai passé deux saisons. J'ai passé le brevet d'état en 1992 ou 1993. A l'époque, on ne devait pas être nombreux à l'avoir.

Quand as-tu démarré ton activité de fabrication de chaussures de roller sur mesure ?

Tous mes collègues patineurs partaient en Italie. Les chaussures étaient hors de prix, sans compter le tarif du voyage aller-retour et le temps passé sur place. Je me voyais mal aller en Italie pour faire les miennes.
A force de bidouiller les chaussures standards de l'époque qui n'allait jamais, je me suis dit que j'allais essayer de les faire. Il m'a fallu un an pour me documenter. A l'époque il n'y avait rien, pas de référence. Il a fallu que je me débrouille pour mettre au point des solutions. C'était en 1993. J'ai sorti ma première paire en 1994. J'ai travaillé un mois à temps plein dessus !
Tout le monde s'est moqué de moi, mais j'allais quand même plus vite qu'avec mes standards. Puis, des amis m'ont demandé des paires. Ils ont vu que même si les chaussures n'étaient pas belles, elles étaient plus efficaces que les standards. Je ne voulais pas. J'en ai fait une paire à un ami. Le vendredi soir on lui monte la paire, le samedi, il termine second au championnat de France ! Du coup, on a commencé à s'intéresser à ce que je faisais.

En quelle année as-tu créé ta société ?

J'ai dû créer ma société en 1995. Je n'ai jamais voulu développer cela de manière trop importante. L'Etat ne fait pas grand chose pour aider les personnes qui montent des entreprises. Si tu commences à grossir, tu dois faire des heures et des heures pour pouvoir assumer derrière sans être plus riche au final. Le statut de micro-entreprise me permet de mieux gérer, d'avoir des salaires qui ne sont pas énormes mais qui me permettent de vivre. Je peux continuer à m'entraîner un peu, à avoir une vie, d'autres loisirs. C'est ce qui correspond le mieux à mon style de vie.

Quels sont tes loisirs à côté du patin ?

J'aime l'aéro-modélisme. Depuis tout petit, je suis tombé dedans avec mon père. Il aimait beaucoup l'aviation. Tous les week-end, j'allais voler avec lui sur de vrais avions. Il m'apprenait à piloter. D'ailleurs, quand j'ai commencé à fabriquer des chaussures, je leur ai toutes donné des noms d'avions : Phantom (avion américain), Rafale (avion français), Tomcat (avion américain). J'ai perdu mon père il y a 4 ans, je pense que ça lui fait plaisir. C'est une forme de clin d'oeil.

A un moment, tu as laissé un peu de côté les chaussures pour travailler dans d'autres secteurs d'activité, pourquoi ?

Je n'ai jamais vraiment arrêté. Je suis un touche à tout. J'ai continué en parallèle. J'ai travaillé un peu dans le batiment parce que j'avais besoin d'apprendre d'autres choses de me former. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Si un jour je dois arrêter les chaussures, j'aurai toujours une alternative. Je fais les chaussures par plaisir. Je ne fais pas ça pour devenir riche.

Pourquoi tu avais ralenti le rythme ?

Les commandes augmentaient. Je ne savais pas trop si c'était ce que je voulais faire. Je voulais voir ce que c'était que de travailler pour quelqu'un d'autre. Je me suis rendu compte que les métiers du batiment sont vraiment très durs. Pour concilier avec l'entraînement et les chaussures.
Tu arrives par exemple le matin à 8h00 sur un chantier dans le froid et en rase campagne, jusqu'à 19h00 le soir, tu rentres le soir chez toi manger, tu pars t'entraîner de 20h00 à 21h30, puis tu enchaînes avec les chaussures jusqu'à une heure du matin. Cela a duré un an et mes délais de livraison se rallongeaient. J'avais perdu en qualité. J'ai donc arrêté. J'ai la chance de pouvoir vivre de mon activité, j'ai donc repris les chaussures.
Malgré tout, je n'ai pas eu de mauvais résultats pendant cette période là. Il m'est arrivé de faire des semaines de 60 Heures et pourtant de finir 14ème à la Coupe du Monde à Rennes sous la pluie, sans équipe. Avec le recul, je me dis quand même qu'il y avait quelques uns des meilleurs de la planète. Ce jour là, je devais vraiment avoir une caisse énorme.

Et là, c'est reparti !

Oui ! J'ai sorti un nouveau modèle, le Tomcat, avec des couleurs sympas.

Qu'est ce qui t'a poussé à redémarrer ?

J'ai la chance de pouvoir maîtriser mon emploi du temps contrairement à mon autre métier. C'est une sorte de Monopoly grandeur nature, tu peux gérer les cartes comme tu veux. Tant que les cartes sont bonnes, il faut en profiter. Le jour où le jeu est moins bon, peut être arrêter.

Comment vois-tu la concurrence ?

Non, je ne fais pas ça pour l'argent, je ne suis pas inquiet de voir des nouveaux arriver. Les italiens ont perdu en qualité, les français sont des passionnés avant d'être des commerciaux, c'est ce qui fait qu'on va tenir contrairement à l'Italie où ils vendent plus de standards que de moulés pour faire plus d'argent.
Je préfère continuer à construire des Formule 1 plutôt que de fabriquer des voitures de séries.

Pas mal d'élites roulent avec tes patins ?

Oui, j'ai la chance d'avoir des coureurs qui roulent avec mon matériel. Les sponsors sont assez conséquents de nos jours, même s'ils restent moins important que dans d'autres sports. La plupart du temps, ils donnent du matériel aux athlètes qui roulent avec même si ce n'est pas toujours terrible. Ils font souvent la différence sur leur physique. J'en ai quelques uns qui sont contents de rouler avec le matériel que je leur fait.

Tu as pensé à te diversifier ?

Tomcat

Oui, je fais aussi des chaussures de vélo ou de patinage sur glace. Je suis en train d'étudier avec un ami cycliste la fabrication de la paire de chaussure. On a déjà tout le process de fabrication. On trouve quand même des différences majeures : on prend l'empreinte avec une cale en polystyrène pour prendre en compte la cambrure du pied, les inserts sont plus sur l'avant selon une courbe bien précise difficile à retranscrire, enfin, les chaussures sont beaucoup plus basses.
Pour les chaussures de vélo, j'ai aussi la chance de rouler avec Marion Clignet, dont le palmarès est éloquent [NDLR : six titres mondiaux, deux médailles d'argent aux Jeux olympiques et dix titres nationaux]. Elle m'a proposé de m'aider à la mise au point des chaussures et de m'aider à trouver des contacts avec de grands sponsors comme la Discovery Channel ou la Française des Jeux. Je n'en suis pas là...

On te verra encore cette année sur les circuits ?

Oui, j'ai gardé un statut élite, je suis toujours resté dans les points. mais je pense de plus en plus régulièrement à redescendre en national. Depuis que j'ai eu mes 30 ans, j'y pense fréquemment [NDLR : J.S Sierra a maintenant 33 ans].
Pour la prochaine saison : ma copine fait les open, en fonction de là où elle fera les opens, je ferai les Marathons ! Elle planifie son programme et moi je suis ! (rires).

Liens utiles

Site du fabricant Jean-Stéphane Sierra

Texte : Alfathor
Photos : Droits réservés
Mis en ligne  le 05 octobre 2007 - Lu 15454 fois


Envie de nous rejoindre ? Contactez-nous !

PUB